Soutenir la République du Haut-Karabakh, c’est parachever la paix dans le Caucase du Sud

Article publié dans Le Monde, le 24 février 2014

Le 12 mai 1994, il y a bientôt vingt ans, un cessez-le-feu mettait enfin le terme au long et violent conflit du Haut-Karabakh. De cette véritable guerre de décolonisation naquit la République du Haut-Karabakh, un nouvel Etat situé entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, sur une terre arménienne aux confins des aires culturelles russe, turque et persane.

Vingt ans, c’est une génération. Une génération de jeunes Azerbaïdjanais et de jeunes Karabaghiotes qui n’aurait dû connaître que la paix, qui aurait dû voir reconnu son droit inaliénable à la sécurité et à la vie. Mais force est de constater que, si la guerre est terminée, la paix reste à gagner : en l’absence de traité de reconnaissance mutuelle, faute même d’un simple dialogue direct entre les parties, le cessez-le-feu reste plus que précaire. Dès lors l’Azerbaïdjan comme le Haut-Karabakh sont privés de toute perspective de développement normal et pacifié.

Il faut gagner la paix. Cela veut dire, pour commencer, reconnaître la réalité des faits et s’engager délibérément dans la voie d’un dialogue transparent, avec, en perspective ultime, la réparation des torts. Mais pour cela, il faut que l’expression pluraliste des opinions, et les pratiques démocratiques en général, soient effectives dans chacun des Etats parties à ce dialogue.

Nous, membres du Cercle d’Amitié France-Karabagh, soucieux de la paix dans le Caucase du Sud, appelons les protagonistes au réalisme et au pragmatisme : ni les menaces, ni la rhétorique belliqueuse, ni les actes de guerre ne convaincront l’ancienne colonie karabaghiote de revenir dans le giron de l’Azerbaïdjan. Vingt ans après le cessez-le-feu, des tentatives d’incursions militaires se soldent, presque chaque mois, par de nouvelles victimes karabaghiotes, civiles et militaires et par de nouvelles pertes parmi les soldats azerbaïdjanais dont les assauts sont repoussés. La répétition de telles tragédies nous éloigne chaque jour un peu plus de toute perspective de coexistence pacifique. Pour nous, reconnaître le Karabagh, ce n’est en aucune manière être l’ennemi de l’Azerbaïdjan. Comme tous les autres visiteurs du Karabagh, nous avons été déclarés personae non gratae par le régime azerbaïdjanais : c’est une pratique aussi dérisoire que contre-productive.

Gagner la paix, c’est aussi, tout particulièrement, soigner les blessures du passé. Le conflit du Haut-Karabakh a été marqué par des exactions sur lesquelles il faudra faire la lumière, que les victimes soient arméniennes – comme à Soumgaït, Kirovabad ou Maragha – ou meshkètes, comme à Khodjalou. Le pogrom de Soumgaït, qui fit plusieurs centaines de victimes le 27 février 1988, fut le déclencheur du conflit : il a certes conduit à des arrestations et à des condamnations de la part des autorités soviétiques, mais seuls les exécutants avaient été mis en cause.

Les véritables responsables n’ont pas été inquiétés et la préméditation de ces massacres n’a pas été caractérisée. C’est la force des démocraties que d’être suffisamment confiantes en elles-mêmes pour mettre en place les nécessaires commissions d’enquêtes qui, en établissant les responsabilités et en condamnant les véritables commanditaires de ces crimes, apaiseront les douleurs et favoriseront la réconciliation.

Témoins des progrès manifestes accomplis par la République du Haut-Karabakh, nous nous réjouissons d’apprendre que l’ONG Freedom House, dans son évaluation mondiale des droits civils et des libertés, considère désormais cet Etat comme « partiellement libre ». Et nous approuvons pleinement M. Arkady Ghoukassian, ancien président de la République du Haut-Karabakh, lorsqu’il déclare, récemment, que « l’objet du règlement du conflit n’est pas le simple rejet formel de la haine mais la réalisation de la réconciliation historique entre deux peuples […] afin de prévenir tout futur conflit » et que « le contact entre les sociétés civiles peut montrer la voie ».

Nous espérons que cet appel, que notre propre démarche, trouveront un écho au sein de la société civile d’Azerbaïdjan, que de nouvelles forces y apparaîtront, capables de se détourner des propagandes haineuses et de regarder vers l’avenir. Si ces forces se révélaient, si des initiatives de dialogue et d’échanges voyaient le jour, qu’elles soient bien assurées de trouver dans notre modeste Cercle un appui et un facilitateur.

François Rochebloine, René Rouquet et Guy Teissier
sont membres-fondateurs du Cercle d’Amitié France-Karabagh