François Rochebloine, Georges Colombier et Emmanuel Mandon ont fait partie des observateurs internationaux ayant supervisé les élections législatives qui se sont déroulées le dimanche 3 mai 2015 au Haut-Karabagh. Ils prennent position dans une tribune parue dans l’Express ce vendredi 8 mai.
Ce dimanche 3 mai, se tenait dans la jeune République du Haut-Karabagh, pour la sixième fois, des élections législatives libres. Observateurs de ce scrutin, nous avons pu mesurer tout à la fois les aspirations profondes et authentiques de la population et la détermination des responsables politiques, toutes sensibilités confondues, à faire de ce petit pays de 150 000 habitants, non reconnu par la communauté internationale, un Etat de droit, une référence pour cette région du Sud Caucase.
Nous avons accepté l’invitation lancée par les autorités de la RHK car il nous semblait important d’encourager le processus démocratique initié depuis la déclaration d’indépendance de 1991.
Plus d’une centaine d’observateurs, issus de 25 pays, ont été mobilisés pour assurer la transparence de ce rendez-vous électoral, où 7 formations politiques et 200 candidats étaient en compétition, pour 33 sièges à pourvoir.
Le scrutin s’est déroulé dans de bonnes conditions, selon la norme admise par les grandes démocraties occidentales. Dans le calme et la sérénité requise, plus de sept électeurs sur dix se sont rendus aux urnes, comme nous avons pu le constater dans une trentaine de bureaux de vote situés dans la capitale et plusieurs villages plus ou moins éloignés de celle-ci.
Placé sous le contrôle d’une Commission électorale centrale, le scrutin a fait l’objet cette année d’un renforcement des procédures et d’une mobilisation de moyens humains et matériels qui ont permis de garantir la sincérité des opérations de vote (organisation des bureaux de vote, affichage des listes électorales, surveillance pluraliste des opérations de vote et de dépouillement par les représentants des partis politiques et des candidats…).
Malgré ces efforts très louables et remarquables, hélas, nous constatons que les instances internationales de même que la presse – à de rares exceptions près- ont globalement ignoré ce rendez-vous, comme elles l’ont d’ailleurs fait régulièrement dans le passé.
Cette situation est déplorable, et particulièrement injuste eu égard au principe élémentaire du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Le peuple libre et souverain du Karabagh serait-il ainsi condamné à vivre en marge de la société des nations ? Il nous semble que cette approche est profondément erronée et qu’elle relève d’une erreur et d’une faute.
Il y a ici une erreur grossière, car les États constitués ne devraient jamais oublier qu’ils furent tous, à un stade ou à un autre, des expressions spontanées de volontés populaires. Et que ce fut notamment le cas de presque tous les pays issus des processus de décolonisation, gagnant leur indépendance très souvent de haute lutte. Même des Etats comme les États-Unis et la France s’instaurèrent à la faveur de mouvements révolutionnaires, en lutte contre un ordre établi abusif, inique et autoritaire. Les autorités du Karabagh, ont toujours invoqué le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, et sa supériorité dans l’ordre des fins, au droit à l’intégrité territoriale, dans l’ordre des moyens.
Nous pensons qu’il s’agit également d’une faute, car boycotter un Etat qui s’avère exemplaire dans ses institutions et ses pratiques démocratiques depuis près d’un quart de siècle, instille l’idée délétère d’institutions internationales qui n’ont rien à dire. Que le fait de ressasser des principes abstraits et fossilisés, conduit à forger un outil de domination, à légitimer le recours à la force au détriment du droit, tant la reconnaissance internationale a parfois été abusivement accordée au bénéfice de sombres intérêts.
L’invocation hostile et inconsidérée dans le cas du Haut-Karabagh de ces principes pourrait être interprétée comme une prime à l’intransigeance de l’ancienne puissance coloniale d’Azerbaïdjan qui s’enfonce sous nos yeux dans l’autoritarisme et la corruption. Le risque est grand, qu’une telle iniquité puisse finalement n’entraîner que la radicalisation désespérée d’un peuple karabaghiote modéré, c’est-à-dire l’inverse de ce qui sans doute est recherché. Et plus largement que la défiance en les institutions internationales ne conduise à affaiblir notre modèle démocratique.
Nous sommes pour notre part convaincus qu’il faut accompagner l’Etat de droit là où il s’épanouit, avec pragmatisme et sans présupposé dogmatique pour aider à le parfaire, pour en corriger les balbutiements et pour conforter les pratiques démocratiques au sein d’une nation qui le veut et qui le peut. Si l’on veut pacifier le Caucase du sud, si l’on souhaite sincèrement résoudre la question du Haut-Karabagh, il faut soutenir la démocratie dans la région. Et aujourd’hui, dans la région, la Démocratie, c’est la République du Haut-Karabagh.
François ROCHEBLOINE, Député de la Loire
Georges COLOMBIER, ancien député de l’Isère, membre honoraire du Parlement
Emmanuel MANDON, Conseiller régional Rhône-Alpes